Main posée sur le front, paupières à demi-fermées, la jeune Burrows se laissa tomber sur un des sofas du grand salon de la maison d’une de ses connaissances. La fête battait toujours autant son plein, malgré les deux heures du matin passées depuis quelques temps déjà. A vrai dire Drizzle ne savait plus. Elle était venue avec une amie à elle, qu’elle avait perdue depuis plus d’une heure parmi cette marée humaine et avait fumé un truc qui lui était directement monté au cerveau. Tout était flou autour d’elle, sensation qu’elle commençait à bien connaitre, avec le temps. Elle n’avait d’ailleurs presque plus de souvenirs du gars avec qui elle avait passé la moitié de la soirée mais elle s’en fichait royalement à vrai dire. Ce n’est pas ça qui lui avait importait le plus ; A vrai dire, plusieurs fois au cours de la fête, elle avait croisé le regard de Léandre. Il ne manquait plus que ça. Elle aurait dût s’y habituer, avec le temps, le voir fréquenter les mêmes grosses soirées, les même personnes, mais non. Étrange. Elle soupira presque toute seule. Ses pieds chaussés de talons hauts commençaient à la faire souffrir légèrement à force de danser, et elle entendait de vagues paroles de personnes qui lui demandaient si elle allait bien. Elle se contentait d'hocher la tête, les yeux fermés, la musique tambourinant à ses oreilles. Au moins, elle n’avait pas fini dans la piscine, ce qui devenait de plus en plus rare. Surtout dans le coin. En effet, Sea village n’était pas réputé pour abriter les plus petites demeures qui soient.

Des cris parvinrent subitement du jardin. Relevant brusquement la tête, acte qu’elle regretta lorsqu’elle faillit perdre l’équilibre même encore assise, elle sentit qu’une bagarre se préparait déjà. La soirée allait en prendre un coup, c’était certain. Avec un peu de chance, les flics débarqueraient avant de renvoyer tout le monde chez eux. Fin de soirée sympa en perspective, pensa-t-elle ironiquement. Dans une impulsion, elle se leva, et avec ce qui lui restait de lucidité, elle se dirigea vers les escaliers en marbre qui devaient certainement bien mener vers des chambres, ou un endroit tranquille où elle pourrait se reposer quelques minutes. Ces pas martelaient le sol, l’étage paraissant subitement tranquille. Elle sourit. Ouvrant une porte au hasard, en espérant ne pas tomber une fois de plus sur de chauds ébats, elle fut soulagée lorsque la chambre plongée dans le noir, sembla silencieuse. Seule la lune déversait sa douce lumière dans la pièce. Se débarrassant de ces chaussures, elle s’allongea sur le dos, déconnectant son esprit de ce qui pouvait bien se passer au rez de chaussée. Le calme l’apaisa et elle riva ses yeux aux plafonds. Elle sentait déjà les effets de la drogue s’estomper légèrement. Heureusement pour elle qu’elle n’avait pas cherché à se souler. Son état aurait pu être bien pire. Elle s’étonnait d’ailleurs elle-même d’avoir fait preuve d’autant de contrôle. Enfin pas totalement mais peu importait..

L’esprit complètement embrumé, il était difficile pour Drizzle de faire la part des choses à ce moment précis. De plus, la fête n’étant pas réellement à son goût, elle ne connaissait pas même la personne qui l’avait organisé. C’était une amie à elle qui l’avait trainé ici et, la jeune femme avait décidé de la suivre, ne disant pratiquement jamais non à ce genre d’évènement. Mais la fatigue accumulée après une longue semaine, un entrainement de Lacrosse éreintant et le joint qu’un gars lui avait tendu, avaient eu raison d’elle, au moins pour ce soir-là et elle ne se sentait pas au meilleur de sa forme. Rajoutez une masse de gens complètement défoncée à ne plus pouvoir savoir qui ils sont et elle pouvait enfin dire qu’elle préférait à cet instant être n’importe où mais pas réellement ici. Etrange pour une grosse fêtarde comme elle. Après s’être éloignée volontairement de tout le monde, elle ne chercha pas plus loin et décida d’aller se trouver un coin plus tranquille où elle pourrait essayer de se remettre un peu. Dans le jardin, une bagarre se profilait et elle ne put s’empêcher de soupirer avant de monter les grands escaliers en marbre menant à l’étage, du mieux qu’elle le put. Pestant intérieurement sur le mauvais joint qu’on avait dû lui refiler, elle ouvrit quelques chambres avant d’en trouver une vraisemblablement vide. Ne prenant pas même la peine d’allumer la pièce, elle referma la porte derrière elle et se laissa tomber sur le grand lit. Elle laissa choir au sol ses chaussures à talons et elle soupira de nouveau sous le pseudo silence qui régnait. Sa tête lui tournait atrocement et elle ferma les yeux un instant, laissant son esprit vagabonder. Finirait-elle peut-être la soirée ici après tout. Mieux qu’en bas en tout cas.

Elle était complètement déconnectée, chose peut-être à cause de laquelle elle ne capta pas sur le moment que quelqu’un entrait à son tour dans la chambre. Lorsqu’elle sentit que l’on s’appuyait sur le lit où elle était allongée, elle fronça les sourcils mais elle n’eût pas le temps de dire un mot que la lumière l’aveugla. Les fermant de nouveau le plus fort possible, ses paupières clignèrent ensuite pour tenter de s’habituer difficilement. Léandre se tenait devant elle, une bouteille de ce qui semblait être de la tequila, à la main. Pourquoi le destin était-il aussi fourbe de les faire se retrouver dans la même pièce ? Elle se le demandait bien. « Oh. C’est toi. » Dit-il d’un ton lascif rompant ainsi le silence. Elle le fixa de son air interrogateur pendant quelques secondes, une main devant ses yeux à demi-fermés. « Oui c’est moi, tu peux éteindre maintenant ?! Tu vas me rendre aveugle avec toute cette lumière ! » La mauvaise humeur revenait au galop, hum. Le ton du brun changea subitement, en devenant presque acariâtre. La jeune femme se releva lentement, restant néanmoins assise sur le matelas. « Tu n’as pas l’air dans ton assiette ma belle. » Elle savait qu’elle aurait dû rentrer chez elle dès qu’elle avait passé la porte de cette maison. Maintenant elle allait devoir se battre avec lui. Au sens figuré du terme. C’était bien plus fort qu’eux, depuis quelques années, dès qu’ils se retrouvaient à proximité de l’autre, soit ils s’évitaient, ou alors ils ne pouvaient s’empêcher de s’envoyer des piques. Faire comme si depuis le début, ils ne s’appréciaient pas vraiment. Néanmoins, l’histoire était bien plus compliquée que cela. Malheureusement.

« Je te rassure, tu as aussi mauvaise mine que moi, Léandro chéri.. » Lui répondit-elle ironiquement. Peut-être qu’après tout, il décidera de changer d’endroit et la laisserait seule. « Je ne compte pas bouger de là, j’ai enfin trouvé un endroit où on n’entend pas cette maudite musique et ces pauvres cons. » Raté. Elle allait devoir faire avec. « Pas de chance, j’ai pas non plus l’intention de bouger. J’étais là la première de toute façon, et toute les autres chambres sont occupées. Les trucs à trois tu vois c’est pas trop mon genre.. » Il vint s’asseoir contre le sommier du lit, à côté des jambes de Drizzle qui pendait et se mit à boire. Puis, il lui tendit la bouteille sans réellement rencontrer son regard. « Bois, ça te donnera du punch au moins. » La jeune femme hésita quelques secondes, sachant pertinemment que boire ne ferait qu’aggraver son cas. Stoïque durant un instant, elle finit par s’emparer de la Tequila et d’en faire couler le liquide dans sa gorge. Tant pis. Après une légère grimace, elle finit par lui rendre. Un silence s’installa durant lequel elle essayait vaguement de mettre de l’ordre dans ses idées, sans réel succès. Après un instant, elle finit cependant par admettre dans son sens, « Ouais, la soirée est vraiment nulle. Tout comme les joints qu’on nous refile.. » Elle marqua une pause avant d’ajouter, « Qu’est-ce que tu fiches ici d’ailleurs ? Tu connais vraiment la fille qui organise cette soirée ? Quoique tu dois bien toutes les connaitre maintenant.. » Elle n’avait pu s’empêcher de le dire. Lucide, peut-être, elle se serait abstenue. Surtout qu’elle ne le pensait pas au fond. Toutes les remarques qu’elle lui adressait en général n’étaient qu’une sorte de carapace. Mais plutôt mourir que lui montrer que sa première fois avec lui avait eu vraiment de l’importance, même s’ils n’étaient pas réellement sortis ensemble. Ils avaient été amis, autrefois, bien avant tout cela..

Et ils étaient là, tous les deux dans cette chambre. Ils s’étaient retrouvés dans cette même situation peu d’années auparavant mais il s’agissait bien d’un tout autre contexte. La tension installée entre lui et Drizzle était glaciale, la chaleur de la pièce les rendait donc moins hostiles l’un envers l’autre malgré les répliques cinglantes qu’ils s’amusaient à se lancer. « Pas de chance, j’ai pas non plus l’intention de bouger. J’étais là la première de toute façon, et toute les autres chambres sont occupées. Les trucs à trois tu vois c’est pas trop mon genre.. » Il eut envie de répondre aigrement mais la lassitude qui l’avait envahi tout au long de cette soirée pour le moins contrariante le fit taire automatiquement. Il regretta presque aussitôt d’avoir tendu la bouteille à la jeune blonde, il la connaissait, pas véritablement mais assez pour s’assurer qu’il ne finirait pas saoul comme il aurait voulu l’être pour oublier la déplaisance de la nuit qui s’annonçait. L’histoire qui les liait était compliquée sans vraiment l’être, c’était comme exprimer deux termes opposés mais qui, en cherchant bien, pouvaient finir par pointer la même direction. Enfin, ils s’étaient connus à une soirée bien arrosée, ils s’étaient revus, ils avaient couché ensemble et puis finalement ils avaient choisi de reprendre leur chemin respectif. « Ouais, la soirée est vraiment nulle. Tout comme les joints qu’on nous refile.. » Il aurait pu parier n’importe quoi, il savait que le corps de Drizzle était plus fumant que imbibé d’eau de feu. Léandre quant à lui n’avait jamais passé une soirée à ne faire que fumer, il fallait savoir tirer sur un joint pour être dans le même « trip » que ses amis, mais il pensait qu’en faire autant était pathétique. Ce n’était qu’un avis, mesquin qui plus est car le jeune homme n’en était pas à sa première fête passée à boire comme pas deux. « Je n’ai pas fumé. » Il était devenu, en quelques secondes, perplexe, souhait-il vraiment engagé une conversation avec elle ? Non. Allait-il le faire ? Oui. L’alcool était encore le principal responsable de ces moments de déraison durant lesquels il souhait beaucoup de choses qui au final n’aboutissaient qu’en leurs contraires. C’était fâcheux dans un sens, amusant de l’autre et très instructif dans un troisième. La flemmardise était un aussi point essentiel de la situation dans laquelle ils se trouvaient, il avait la flemme de tendre la main pour récupérer sa bouteille, il avait la flemme de se lever et de sortir, il avait la flemme de rentrer chez lui. La voix, presque mélodieuse mais en réalité grinçante de Drizzle le tira de ses rêveries. « Qu’est-ce que tu fiches ici d’ailleurs ? Tu connais vraiment la fille qui organise cette soirée ? Quoique tu dois bien toutes les connaitre maintenant.. » Sa réflexion fit naitre un sourire sur les lèvres du jeune homme, le premier de la soirée peut être. Il avait bien fait de monter jusqu’ici finalement, il ne regrettait jamais rien mais là, il en était presque heureux. Il se mit à genoux, se retourna, croisa les bras sur la couverture et posa sa joue dessus, les yeux tournés vers la blonde tranquillement allongée. « J’avais envie de boire gratuitement et tu sais, j’m’en suis tapé tellement qu’on finira par sûrement se rencontrer à toutes les soirées. La fille ? J’sais pas, j’dû la prendre sur la banquette arrière. » A ce jeu, il fallait toujours être plus vicieux que son adversaire. La loi du plus fort n’est-ce pas ? Mais jusqu’à quel point la compensation en matière de sentiments pouvait être profonde ? Il fallait s’attendre à tout lorsqu’on se jetait corps perdu dans les flammes de cette démence. « A croire qu’elle voulait recommencer quand j’ai vu avec quelle ardeur elle m’a embrassé tout à l’heure. » Au diable la flemme. Il se leva légèrement s’empara de la bouteille de Tequila et but une belle gorgée, les goûts n’existaient plus à présent, sauf celui de la nostalgie aussi noire que la lourdeur du passé. Il fit mine de faire la moue. « En fait, j’sais pas. Elle avait aussi l’air d’apprécier les biffles que deux gars lui mettaient. » La sérénité avec laquelle il avait parlé était troublante, même pour lui. C’était répugnant, ignoble, crâde. « Je suis déçu, elle restait un bon plan. » Etait ce assez ? Assez pour lui montrer qu’elle n’avait été que le début d’une longue série, assez pour lui faire comprendre qu’elle n’avait été que la première fille et qu’au final il ne s’était plus préoccupé d’elle directement après l’acte. Ou alors c’était trop. Trop pour lui montrer qu’elle avait été bien plus que ça, trop pour lui faire comprendre ses véritables sentiments sur ce qu’il s’était passé entre eux et qu’au final, il avait éprouvé une tempête de sensations, de la tristesse au plaisir, de la jouissance à la souffrance. « Et toi ma belle ? Qui es-tu maintenant ? »