Je suis penché sur le corps inerte de Monsieur X-3022, encore tout frais pour m’exercer. Rien que pour moi, parce que je suis un étudiant brillant qui a besoin de pratiquer, et surtout parce que la nana qui garde les cadavres sous clé adore mon herbe et baiser sur un table en inox –ouais je trouve ça bizarre moi aussi, mais j’ai le sens du sacrifice-. De toute façon ce pauvre gus a déjà été charcuté, et pour cause il lui manque le foie, le cœur, les reins et d’autres organes encore, même une jambe et une main. Près pour l’incinération, heureusement que j’étais là pour empêcher ça. Je m’en fous, ce qui m’intéresse aujourd’hui c’est son crâne, sa caboche qu’on aurait donné à taillader aux premières années. Moi j’en prendrai soin, et des têtes, ça se perd aisément. Je suis paré depuis deux minutes, mais mon rituel consiste à passer tout mon équipement en revue pour m’assurer que je n’ai rien oublié. Combinaison verte tout pourrie –et pas la blouse blanche sexy des médecins-, gants en latex, masque, surchaussures, lunettes à écrans latéraux –vous savez celles qui font scientifique fou-. Je lève les bras au dessus du cadavre, prêt à commencer, sauf que je me rends compte que mon index passe à travers le latex. Putain, c’pas possible j’étais au taquet là. Je soupire, baisse les mains en retirant mon masque. Je ne suis pas vraiment obligé de m’envelopper comme un cadeau, mais je préfère m’entraîner en ‘conditions réelles’, c’est plus sérieux. En plus, j’ai pas franchement envie de me retrouver avec un morceau de cervelle sous l’ongle. Je jette les gants, farfouille dans les tiroirs sans succès. En rade de latex, vous y croyez vous ? Contraint d’aller demander aux rats de laboratoire de la pièce d’à côté, en espérant qu’ils ne vont pas trouver ça louche. Je grogne un moment avant de retirer mon équipement, ne gardant que mes lunettes autour du cou, parce qu’il ne faut pas que j’éveille les soupçons. Je déverrouille la porte, passant la tête à travers afin d’épier les alentours. Une seule silhouette en vue, bonne nouvelle. J’attends que le mec passe devant moi, et je reconnais aussitôt une vieille –pas tant que ça- connaissance qui suscite une grimace. Putain, c’est l’autre gamin qui m’a piqué mon herbe ? Je plisse les yeux, juste pour être sûr, mais c’est bien ce sale morveux. C’est le destin, comment expliquer ça autrement ? Il arrive droit sur moi, et je suis sur le point de découper le crâne d’un pauvre macchabé sans autorisation. Merde, merde, merde, je fais quoi ?

Je m’extirpe de mon point d’observation en courant, tirant le drap sur le visage du mort, puis le rideau qui sépare la pièce en deux. Plus de mort en vue, et y’a à peine une légère odeur vu qu’il a été éviscéré et conservé dans le congélo. Cela dit il ne vaut mieux pas s’éterniser. Je me précipite vers la porte, l’ouvrant à la volée. PAF, cible touchée. En même temps quelle idée de faire des portes qui s’ouvrent vers l’extérieur ? Je crois qu’il marmonne un truc, mais je n’entends rien d’autre qu’une voix dans ma tête qui crie vengeance. Je l’attrape par le poignet pour le balancer dans la pièce, près de la table en inox vide et de casiers de rangement. Je tourne la clé, parce qu’il faudrait pas qu’on me chope en train de menacer un type à côté d’un cadavre que je ne suis pas censé avoir à ma disposition, me tournant finalement vers Alain. Aladdin ? Alix ? Alex peut-être. Bref, on s’en fout. Je me demande une fraction de seconde pourquoi il est là, dans les couloirs de la Fac. Je suis pourtant persuadée qu’il n’a pas plus de dix-huit ans, et venir jouer dans la cours des grands, c’était pas l’idée à avoir aujourd’hui. « Salut le pisseux. » Non parce qu’il ne faut pas oublier la politesse tout de même. Je m’approche de lui en me mordant la lèvre inférieure, ne laissant que la taille d’une chaussure entre lui et moi. Je reste parfaitement calme, comme à mon habitude, allant même jusqu’à esquisser un demi-sourire malsain, mais à l’intérieur je boue littéralement. Je sens mon sang brûler, ma mâchoire se serrer, mes muscles se tendre. Mais de l’extérieur, on n’en distingue presque rien. C’est peut-être pour ça que ce crétin a cru qu’il pourrait me chourer ma beuh sans que je ne lève le petit doigt, parce qu’on dirait que je suis naturellement défoncé alors que je suis toujours super lucide. « Tu vas m’amener à ma putain d’herbe bien gentiment. Illico, et même si c’est à l’autre bout de la ville. » Formulé sur le ton d’un ordre, qu’il n’a pas intérêt à contester. Même si je n’sais pas pourquoi, je sens que ça ne va pas se faire facilement, dans la joie et la bonne humeur. Je ne sais pas non plus comment je vais gérer le mort, mais au pire je passerais un coup de fil à la gardienne des clés. Je reste là sans bouger, sans le toucher pour appuyer mes dires, simplement en le fixant de mes yeux clairs. « Parce que t’as pas été assez con pour tout fumer, rassure-moi ? » Je préfère quand même demander, parce que ça ne fait que quatre jours mais à la vitesse où ces merdeux tirent sur les joints … Il n’a pas intérêt à répondre que si, parce que sinon cette table vide aura bientôt un occupant.