JIHED AND KATHALEEN

oh please, it's horrible there. save me from this hell.

Plus que cinq minutes. Cinq petites minutes à patienter. J'ai les yeux qui se ferment à moitié, mais je dois tenir. Les cours sont d'un ennui profond, mais je dois tenir le coup. Tic tac. L'horloge tourne, j'ai l'impression d'être dans un tourbillon infernal, je n'en vois plus la fin. Tic tac. Je tourne la tête: mon voisin est affalé sur la table. Il ne suit plus le cours depuis trois quart d'heures déjà. Quant à moi, je divague. J'ai l'esprit ailleurs. Mon regard se pose un peu partout dans la salle, mais je ne suis plus concentrée, c'est comme si mon cerveau était parti et qu'il ne restait que mon enveloppe corporelle. Je fais simplement acte de présence.
Puis je pense à Nathan, mon petit bout de chou. J'ai hâte de le retrouver et de le serrer dans mes bras. Il a dû finir l'école depuis longtemps déjà. Sa gardienne est sûrement venue le rechercher. Je n'ai pas confiance, Nathan est mon petit trésor, j'ai tellement peur qu'il lui arrive quelque chose, mais je ne peux guère faire autrement, les cours me prennent tout mon temps. Tic tac. Les secondes s'écoulent lentement. Puis enfin arrive la délivrance. Je pousse un long soupir, puis je remballe toutes mes affaires en silence, avec une seule chose en tête: retrouver Nathan. Je balance vulgairement mon sac sur mon épaule et je m'empresse de partir. La faculté est immense, nous sommes nombreux. J'ai l'impression d'étouffer, d'être oppressée. Je me faufile entre deux trois personnes, je m'excuse, je manque de trébucher tant je suis pressée. J'entends des "eh, doucement ma jolie !" je lance des regards noirs, et je me presse, je cours presque... Puis j'arrive enfin dehors et je respire un grand coup: je suis libre. Un zéphyr vient caresser ma peau et faire virevolter ma crinière brune avec allégresse. Je ferme les yeux durant quelques secondes, savourant ce délicieux moment. Puis j'ouvre les paupières, et mon cœur se gonfle automatiquement: devant moi, il y a Nathan. Il a un rictus accroché aux lèvres, il respire le bonheur. A ses côtés, il y a un gars très grand, aux cheveux bruns et au regard rieur, malicieux: Jihed. Tout deux m'attendent patiemment et me cherchent du regard. Je ne peux que sourire, attendrie, face à cette scène. Je cours presque vers eux, et Jihed me remarque. Il glisse un petit mot à l'oreille de Nathan, qui me perçoit à son tour. Il se jette alors littéralement dans mes bras, et je serre ce petit bout dans mes bras, tout en adressant un franc sourire à Jihed, ce mec un peu paumé, un peu gamin, que je commence, malgré tout, à apprécier.

Citation :

Nathan parle du dernier film qu'il a regardé à la télé, hier en fin d'après-midi. Il bégaie, il balbutie, cherche les mots qui sont plus beaux que ceux qui lui viennent en premier sur le bout de la langue, un rayon de soleil éclaire ses cheveux dorés, et ses petits yeux refusent de se fermer; il grimace, montre ses dents de lait tordues, continue tant bien que mal son récit. Jihed l'écoute en souriant, les discours des enfants sont les seuls qu'il accepte d'entendre. Les seuls qui méritent d'être entendus. Les enfants ont ce don de nous rappeler ce qu'on a tendance à oublier. À nous faire croire qu'on vaut mieux que ce qu'on est. Les histoires des enfants sont toujours passionnantes, celles des adultes ont perdu leur charme. Il est plus passionné par le récit du môme que par n'importe quelle réflexion philosophique composée en trois partie, plus que par n'importe quelle déclaration d'amour enflammée déclarée sur l'oreiller par une sirène blonde. Il se laisse bercer, étonner, émouvoir, il prend part au jeu, et l'enfant le sait, l'enfant le sent. Ils sont comme frères, la seule chose qu'il regrette, c'est de ne pas l'avoir vu depuis sa naissance, naitre et puis grandir. Nathan est déjà un grand, déjà un dur, et il sait le prouver. Un dur comme toi, Jihed. Plus tard, il s'habillera comme toi. Ça le fait rire, il n'y croit pas vraiment. Peut-être qu'au fond, il espère que ce ne sera pas le cas. Nathan raconte que sa grande soeur est très exigeante, qu'elle attend de lui qu'il fasse des études et entre dans une grande école, pour réussir sa vie. Jihed fronce les sourcils, tire dans la toile délicatement tissée par la jeune femme, assure à Nathan qu'il réussira sa vie même en ayant de mauvaises notes à l'école. Il dit à Nathan qu'il n'est pas obligé de faire de grandes études, qu'il peut même réparer des voitures, s'il le veut, si c'est ça qui lui plait. Nathan sourit, et lui demande s'il a fait de grandes études, lui. Alors, Jihed se tait, puis répond, après un silence, que oui, bien sûr, il a fait de grandes études. Alors, Nathan dit qu'il fera aussi de grandes études, comme Jihed. Ils sourient. Il regarde sa montre. Et si on allait chercher ta soeur, et qu'on allait manger des frittes avant de t'emmener à la fête foraine? Nathan saute sur place, ses petits poings serrés par la joie et l'excitation – la vie est encore un énorme ballon couleur chair, gonflé d'un liquide rose un peu amer par moment. L'enfant lui arrive à la taille, à peine, et pourtant, il le fait se sentir comme un égal, il ne le porte pas, le laisse marcher à côté de lui comme un ami. Nathan sourit, il est fier.

Jihed et Nathan se posent devant la fac, sur les barres de métal qui servent à attacher les vélos des étudiants. Jihed glisse la main dans son manteau pour sortir son tabac et des feuilles, puis se ravise devant le regard de Nathan, qui se tourne à nouveau vers lui, brillant, pour lui parler d'une nouvelle chose qu'il vient de voir, ou dont il se souvient. Nathan demande à Jihed si, à son avis, Kathaleen a réussi son examen. Jihed hausse un sourcil devant l'évidence. Bien sûr qu'elle a réussi, c'est la meilleure ta soeur. Un grand sourire éclaire le visage de Nathan. Il le savait, mais il avait besoin d'être rassuré, d'obtenir la confirmation d'un adulte. Nathan a besoin de la parole du plus âgé que lui pour affirmer ses certitudes encore trop tendres. Pas besoin d'être une lumière pour le savoir: sans adulte à ses côtés pour le rassurer, lui donner confiance en lui, Nathan n'a personne; livré à lui-même, il se perd, s'efface. Kathaleen est une fille bien, une fille sérieuse qui s'occupe de son petit frère mieux qu'une mère. Exigeante et affectueuse. Elle n'a pas dans les yeux et dans la voix cette assurance masculine qui plait aux petits garçons en quête de modèles. Jihed saute par dessus les voitures, Nathan applaudit. Jihed donne à Nathan la capitale du Pakistan, et Nathan la retient. Jihed fait tout ce qu'il faut. Nathan lui écrit, l'appelle depuis le portable de Kathaleen, Jihed répond toujours, à n'importe quelle heure, quoi qu'il fasse à cet instant. Prêt à s'interrompre en plein ébat s'il le faut. Nathan crie et montre du doigt: Kathaleen descend les marches de pierre, un sourire aux lèvres, les yeux rivés sur son petit frère. Elle n'a pas un seul regard pour Jihed, Jihed en est persuadé, et il le comprend. Nathan est la première merveille du monde. Kathaleen est aussi brune que son frère est blond, en fait, ils ne se ressemblent pas du tout. Jihed finit par détacher les yeux de Nathan pour les poser sur Kathaleen, répondant à son sourire. « On a pensé qu'après une telle épreuve, ton rêve ultime était d'aller manger un hamburger et de monter dans le train fantôme... » Nathan rit, il a compris le second degré. Il comprend tout. Il se pend à la jambe de Jihed en s'y accrochant, son regard d'enfant se posant alternativement sur Elle et Lui.