"hakuna matata
what a wonderful phrase
hakuna matata
ain't no passing craze"

Une pichenette dans l'oreille blanche, elle se relève. Un sourire en coin, une jupe qui se soulève au rythme des pas. Un rire enfantin, des formes féminines. Comment décrire Alisha autrement. Si une présence pouvait illuminer le parc les jours de pluie c'était bien elle. Enroulée dans un ciré jaune trois fois trop grand, dont on ne voit dépasser que deux jambes fluettes et une jupe d'été. La tête découverte, les oreilles sorties. La pluie est chaude aujourd'hui. On ne sait en voyant Sha si Sha n'est pas une hallucination. Mais quand le groupe de lycéen d'à côté répond à son signe de la main, on sait qu'elle est réelle.

Une goutte de pluie qui tombe sur sa joue. Elle ne prend même pas la peine de l'essuyer. Alisha aime l'eau. Le parc est assez sombre aujourd'hui, mais elle avait envie d'y aller. En y venant, elle avait bien vu tous ses buildings. Tous ses gens qui travaillent, les fous. Elle ne voudrait jamais travailler. Bien sûre, des fois elle fait des petits boulots, histoires d'avoir de quoi vivre, mais c'est très rare. Tous ces gens qui gâchent leur vie au travail ou en cours. Tous ces gens qui ne connaîtront jamais le bonheur du parc le lundi midi plein de pluie. Sha ne pouvait que les plaindre. Elle shoota dans un cailloux. Ses bottes jaunes canari étaient fichues, elle avait l'impression de marcher sur des éponges. Elle les retira. Marcher pied nu dans les flaques, ça aussi ces bourreaux du travail ne connaissent pas. Un jour, Alisha avait parler longuement avec un directeur d'entreprise, qui venait de se faire larguer par sa femme. Il lui avait dit que la vie ne se résumait pas à rentrer dans le rang. Il lui avait dit de rester comme elle était, de ne jamais essayer de rentrer dans le rang. Que la liberté était la plus belle chose au monde. Alisha avait été d'accord avec et elle l'était toujours. Elle lui avait offert son carton pour la nuit. Et elle l'avait ramené chez lui. Il s'était réunifié avec sa femme. Et était rentré dans le rang. Alisha ne voulait pas savoir pourquoi. Elle ne voulait pas voir que pour vivre, on a besoin d'une famille, qu'elle soit strictement de sang ou qu'elle englobe des amis. Elle ne voulait pas l'admettre. Elle s'était persuadée qu'elle était heureuse ainsi.

La petite brune tourna la tête. Et elle vit cette forme humaine. A cette heure-ci, habituellement, le parc n'était peuplé que par des groupes de lycéens séchant les cours. Cet personne l'intriguait. Elle ne reconnaissait pas la forme, mais peu-être était-ce la faute à l'ombre. Doucement, elle se glissa sans bruit sur le banc à côté de l'ombre. Assise sur le dossier, elle osa briser le silence :

- Bonjour !