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« WOODWARD TEAM »

Un furtif tic agita la paupière de l'adolescent étendu entre les draps de son lit, une jambe pendant négligemment dans le vide. Lucas commençait tout juste à émerger des brumes du sommeil, lorsque la clameur inhérente aux douches matinales de son père lui parvint depuis la salle de bains - qui évidemment jouxtait le mur de sa chambre. Fucking hell, était-ce vraiment trop demander que de pouvoir savourer les quelques malheureuses heures de sommeil du samedi matin ? Un juron étouffé par l'oreiller quitta les lèvres de l'adolescent, terminant de le convaincre du caractère insupportable de son paternel. Lucas se redressa avec tranquillité, accompagné d'un impressionnant bâillement ; il s'étira brièvement avant de passer une main sur son visage, tentant vainement de chasser la torpeur de ses six dernières heures de sommeil. Contrairement à ce que vous pourriez penser, non il n'était pas sorti. En réalité, il n'avait pas quitté la maison ne serait-ce qu'une heure. Pourtant la fête de Léandre lui avait fait les yeux doux ; cependant, sa mère l'avait réquisitionné pour la soirée, peu désireuse de rester seule en vue du retard prolongé de son père. Il avait fait la fine bouche avant de capituler - suspectant aisément la nature de ce malheureux contre-temps qui, si ses soupçons étaient justes, n'avait strictement rien à voir avec une crevaison.

L'adolescent se traîna jusqu'à son bureau d'une démarche indolente, avant d'ouvrir son ordinateur portable dans l'optique d'accéder directement à la page de Stalker. Il n'avait aucune idée de qui pouvait bien se cacher derrière ce pseudo, mais il devait admettre que celui où celle-ci avait eu l'idée du siècle. Le regard encore ensommeillé de l'adolescent s'éclaira soudainement d'une lueur d'intérêt lorsqu'il repéra le nom de sa sœur cité dans l'article. Fronçant les sourcils, il s'empressa de lire les détails de la soirée la concernant et, une moue mécontente ne tarda pas à s'installer sur son visage. Tristan Chamberlain. Il sut immédiatement qu'il ne l'apprécierait pas - à l'instar de tous les autres garçons qui avaient pu tourner autour de Paloma. Il fixa pensivement l'écran durant une poignée de secondes avant de le refermer avec une délicatesse relative. Il inspira profondément, avant d'expirer sa contrariété au mieux. Puis il entreprit de s'activer ; il enfila maladroitement un débardeur avant de quitter la pièce, l'estomac en éveil. Il croisa son père dans le couloir, sans prendre la peine de lui accorder ne serait-ce qu'un regard. Il n'avait plus aucune once de respect pour ce pauvre type. Il s'empara de la boîte de céréales et perdit de précieuses minutes à chercher une brique de lait dans le réfrigérateur : « Il n'y en a plus » lui appris son père ; Lucas ne sembla pas l'entendre, ni même le voir. Les cornflakes en main, il passa devant l'homme de la maison et rejoignit le salon où il découvrit sa sœur, tranquillement installée face au poste de télévision. « Hé sunshine » la salua t'il, le visage soudainement illuminé d'un sourire - contrastant sensiblement avec l'antipathie qu'il avait arboré la minute précédente. Il s'installa sereinement aux côtés de sa jumelle et déposa une bise fraternelle sur la joue de celle-ci avant de plonger la main dans le sachet qu'il porta ensuite à sa bouche. Un bref silence passa. Il lui tendit distraitement les céréales de sorte à ce qu'elle puisse picorer elle aussi, si l'envie la prenait. Lucas s'intéressa vaguement au programme diffusé, avant de tourner la tête vers la capitaine de Lacrosse : « Alors. Tristan Chamberlain hein. » Lâcha-t-il, sans intonation particulière, adoptant une mine détachée fictive.

La réponse de Paloma lui arracha une brève moue sceptique. Il avait parfaitement conscience que les messages postés sur facebook déviaient souvent de la véracité des faits - chose qui s'expliquait tout simplement par la subjectivité d'un observateur extérieur à la situation évoquée. Cependant il était loin d'être naïf ; et il n'appréciait pas du tout les éventualités qu'avaient suggéré cette dernière annonce - à savoir, un Chamberlain à demi-nu à moins d'un mètre de sa sœur. Il piocha une nouvelle pincée de céréales, pensant ainsi se dérober à la tâche du dialogue.

' Et toi en te levant, la première chose que t'as fait c'est voir sur internet si on parlait de moi, bah bravo.. La confiance règne. ' Fit-elle mine de s'indigner. Ils échangèrent un regard éloquent avant de laisser échapper un éclat de rire complice : « Mais quelle égocentrique ! En faite, je vérifiais les dernières conquêtes de Fawkes ; ce n'est pas ma faute si ton nom était écrit juste en-dessous » prétendit-il, incarnation même de l'innocence. « Et puis, c'est en lui que je n'ai pas confiance. » ajouta t'il en insistant volontairement sur la personne utilisée, tout en grimaçant. Il fallait dire les choses comme elles étaient, le capitaine des Pirates n'avait certainement pas la réputation d'homme chaste. « J'consentirais jamais à ce que tu sortes avec un français » râla t'il vivement, comme si ça valait toutes les argumentations du monde. « Ça utilise la langue de Baudelaire pour mettre les nanas dans leur pieu. Heureusement que tu n'es pas aussi facilement impressionnable. » ajouta t'il, avec un bref haussement d'épaules. « Je ne comprends vraiment pas ce que tu lui trouves d'intéressant d'ailleurs. » soupira t'il. Oui, décidément la logique de cette histoire continuait de lui échapper. « Il te plaît ? » finit-il par lui demander, un mince sourire taquin sur les lèvres.

Joyce Fawkes ; l'adolescent n'avait probablement pas sélectionné le meilleur alibi à sa disposition. La cheerleader et sa soeur n'étaient clairement pas les meilleures amies du monde et n'étaient pas même en voie de le devenir - en réalité, voir leurs rapports s'adoucirent avec le temps relèverait du miracle. Lucas n'avait jamais véritablement saisi la nature du problème qui subsistait entre elles - seulement, il avait été suffisamment attentif pour en déduire qu'une fois encore, Chamberlain avait une part de responsabilité dans les ennuis de sa jumelle. « Tu m'as l'air bien au courant » souligna-t-il avec malice lorsqu'elle aborda le sujet des MST chez les pompoms girls, abandonnant l'idée même de défendre la concernée. C'était un débat perdu d'avance, il en était conscient. Paloma et lui se comprenaient mieux que quiconque ; toutefois, aveuglée par ses propres opinions concernant son opposante, il doutait qu'elle puisse accepter le concept même d'une Joyce Fawkes attentionnée, dissimulée derrière un masque d'écervelée. Une paire de semaines auparavant, Lucas se serait certainement rangé à l'avis de sa soeur quant au désintérêt que pouvait susciter la pompom girl ; toutefois la donne avait changé entre-temps. Joyce s'était occupée de lui, à la suite d'une soirée arrosée et, il était vraisemblablement l'un des seuls lycéens à avoir eu l'occasion d'apercevoir cette figure vulnérable, qu'elle abritait derrière une attitude pleine de morgue, qui finalement ne s'associait que très peu à elle. Il renonça à émettre le moindre commentaire et poursuivit la dégustation de son modeste petit-déjeuner.
L'ex-basketteur se renfrogna instantanément lorsque sa sœur commença à énumérer les qualités premières de Tristan Chamberlain. Damn, jura t'il, mentalement. Il était pourtant convaincu jusqu'à présent, que sa soeur était bien moins superficielle que ça. « Mon dieu. J'ai une jumelle vénale. Les femmes sont-elles donc toutes les mêmes. » dramatisa t'il d'un ton surjoué. Il roula des yeux avec exagération. Non décidément, pourquoi avait-il fallu qu'elle choisisse Tristan ? Une voix intérieure lui indiqua que de toute manière, aucun garçon ne lui aurait semblé adapté à sa soeur. Il l'envoya promener plus loin, accompagnée d'une joyeuse flopée de jurons familiers.

« Je crois que j'vais coucher avec lui » lui annonça t'elle. Il avala de travers. Une quinte de toux farouche franchit ses lèvres, faisant naître quelques perles salées au coin de ses paupières. Lorsqu'elle fut calmée au terme d'une poignée de secondes, un sourire apparu sur les lèvres de l'adolescent : « Oh, certainement pas. » contra t'il, en déposant son sachet de céréales sur la table. « Et tu sais pourquoi . ». En guise de réponse, il enlaça les épaules de sa soeur et l'attira contre lui, avant de titiller vigoureusement ses côtes dans le but de déclencher son hilarité. Un éclat de rire espiègle quitta ses propres lèvres, tandis qu'il s'évertuait à ne pas lâcher prise. Il ne daigna relâcher son emprise qu'après une bonne minute de résistance tenace, qui le laissèrent haletant. « Plus sérieusement, reprit-il tout en marquant une pause afin de retrouver une cadence respiratoire correcte, n'accélère pas les choses, seulement parce qu'il semble te mettre la pression. Tu as le temps. Et puis je ne voudrais pas que tu te retrouves larguée, après qu'il ait eu ce qu'il voulait. » Déclara-t-il, en penchant légèrement la tête sur le côté. Jusqu'à présent, son intérêt s'était limité au temps que sa sœur ne passerait plus avec lui ; désormais, il craignait également qu'elle ne subisse une déception amoureuse amère. Les mecs étaient des salauds, tous les téléfilms américains tendaient à le promouvoir.