Les seuls déjà sortis bien avant la fin du cours pour aller manger comme des crevards à la cafét, qui d’autre que quelques basketteurs dont moi ? Surtout que c’est pas pour éviter la queue, on nous laisse toujours passer en premier, l’avantage d’être les plus populaires et les plus beaux. On se sert gracieusement les frites et tout le reste. Il nous faut des forces sans arrêt et les cuisiniers l’ont bien compris. Même plus besoin de demander, nos assiettes sont toujours pleines à ras-bord. On va s’asseoir à notre table réservée informellement et on a déjà commencé à manger en se racontant nos dernières anecdotes de soirées quand d’autres gens débarquent. On fait même pas attention à eux, les filles intéressantes ne mangent pas beaucoup pour garder la ligne en général donc on ne les croise pas à la cafeteria. Et puis quand on a faim, on se fiche du reste. Pourtant, un des mecs remarque quelqu’un en particulier. Un homme pour changer. « Blake, j’ai rien fumé et pourtant, j’te jure que le mec là-bas, il te ressemble à fond. » Tout le monde se retourne – discrétion maximum. Pas faux dis donc. Qui s’amuse à se déguiser en moi ? Sérieux, ça suffit pas pour être classe. « Il est bien fait son déguisement quand même, chapeau. J’vois pas du tout qui c’est en dessous. » Moi non plus, c’est bizarre quand même. Enfin, j’vais aller voir, faut pas laisser faire ça. On m’imite, on me copie pas totalement, merci bien. Je prends une dernière frite, sachant très bien que quand je reviendrais, mon assiette sera vide. Le mec est assis à une table, tout seul. Allons bon, c’est un looseur solitaire en plus. Il me tourne le dos mais de là, je vois que ses cheveux sont pas aussi biens que les miens. Pourtant, ils ressemblent quand même. Je m’assois en face de lui et là, ça me frappe. C’est vraiment flippant quand même. Faudra qu’il me passe l’adresse de son maquilleur. « Bon mec, t’es qui toi ? Enlève ton masque, y’a qu’un seul Blake Bowman ici et c’est moi. » Il n’y a plus un bruit dans la grande salle, tout le monde a remarqué que mon sosie avait débarqué et attend le clash. Mais j’suis d’humeur généreuse, je lui laisse une chance de s’expliquer.

Une sonnerie retentit, pour la énième fois de la journée. Mais contrairement aux autres, celle-ci annonçait notre liberté, la fin de notre supplice : la fin des cours de la matinée. Pour traduire, direction la cafétéria. Pour mon ventre qui ne cessait de clamer sa faim depuis une bonne heure, c'était plus qu'une bonne nouvelle. Je pourrais m'empiffrer comme jamais ! Sérieusement, je mourrais de faim, je pouvais tout avaler sur mon passage. Du moins, si je trouvais celui qui menait à la cafétéria. C'était l'inconvénient d'être un nouveau dans un lycée, d'arriver en milieu d'année. Tout le monde se connaissait, tout le monde vous ignorait, personne ne vous aidait. Je devais donc trouver par moi-même. Mais à en juger par certaines élèves qui se ruaient en direction d'un seul et unique lieu, je devinai sans problèmes où ce lieu se trouvait. Je suivais le troupeau de pom-pom girls devant moi, et découvrit avec étonnement que peu de lycéens étaient présents. Enchanté, je me faufilai à travers la queue, pris un plateau avec une assiette remplie à ras-bord et me dirigea vers une table, seul. Les pom-pom girls qui étaient devant moi tout à l'heure se plaçaient automatiquement à une table ronde, très vite, j'en concluais que comme dans mon ancien lycée, il y avait une hiérarchie par ici. Les tables réservées le démontraient sans problème. Bref, je m'assis, entama mon assiette lorsque la salle se remplit petit à petit, sans que j'en ai réellement conscience. Puis dans le même contexte, un lycéen s'invita à ma table, sans quelconque permission. Je ne levai même pas les yeux jusqu'à ce qu'il ouvre la bouche. Dès lors, je restai bouche-bée tant j'avais l'impression d'être en face de mon miroir. « Bon mec, t’es qui toi ? Enlève ton masque, y’a qu’un seul Blake Bowman ici et c’est moi. » Qué ? Quoi ? Kézako ? Qu'est-ce qu'il me raconte mon miroir ? Les miroirs parlent, mon dieu ! Je rêve ou quoi ? Pince-toi pour voir imbécile. Aoutch ! Quel con, ça fait mal ! « Blake Bow...quoi ? » rétorquai-je d'un ton détaché, toujours obnubilé par son visage qui ressemblait trait pour trait au mien. Sérieusement, je devrais arrêter la drogue. Pour le peu que j'en prenais, ça n'avait pas l'air de me réussir. « J'ai trouvé ! C'est une caméra cachée c'est ça ? Haha, très drôle mec, très réussi ! » Plus personne ne parlait, mes applaudissements sarcastiques résonnaient comme dans un amphithéâtre vide. J'eus un rire également ironique puis m'arrêta net, fixa ce gars chelou. « Quel accueil vous réservez aux nouveaux ! Je suis bouche-bée, super le costume, super la mise en scène ! ... Je peux manger maintenant ? » D'humeur sarcastique ? Je pense bien.

Cette journée jusqu’ici normale prenait un tournant totalement inattendu. Au moins, grâce à ce con et son déguisement, j’aurais quelque chose de nouveau à raconter. Mais qu’il ne croit pas qu’il va s’en tirer comme ça. Je saurais qui est caché là-dessous, j’aime pas qu’on se foute de ma gueule comme ça. Ok, ça peut se comprendre de vouloir me copier mais se déguiser en moi, c’est presque… malsain. Enfin c’est bizarre quoi. En plus, plus je le regarde, plus son déguisement paraît réel, ça fait peur. « Blake Bow...quoi ? » Comme si tu me connaissais pas mec ! Faut pas jouer au con avec moi, il va le regretter. « Bowman, fais pas semblant de ne pas savoir de quoi je te parle, c’est ridicule là. » Je devenais froid, je lui avais laissé une chance, il ne l’avait pas saisie. Je n’allais pas le laisser se foutre de ma gueule longtemps. « J'ai trouvé ! C'est une caméra cachée c'est ça ? Haha, très drôle mec, très réussi ! » Attends, il est sérieux là ? Il est en train de s’enfoncer. Tout le monde autour de nous sait bien que je suis le vrai Blake, j’étais avec les basketteurs, pas seul à une table comme un looseur. « Quel accueil vous réservez aux nouveaux ! Je suis bouche-bée, super le costume, super la mise en scène ! ... Je peux manger maintenant ? » Il voulait faire acteur ou quoi ? Parce qu’il semblait vraiment ne pas savoir de quoi je parlais. En plus, il se ridiculisait encore plus, qui pouvait s’imposer ça tout seul ? Qui que ce soit, il devait avoir un sérieux problème psychologique. « Non, tu peux pas manger tant que tu m’auras pas expliquer comment tu te déguisé comme moi et qui tu es. » Je me levais pour m’approcher de lui. Whaou, c’était encore plus bizarre de près. Et je commençais à tirer sur sa joue. « Allez, montre ta vraie tête mec, la plaisanterie est finie ! » Mais ça ne voulait pas venir. Il a pris de la super glue ou quoi ?