Ce soir je me sens pousser des ailes. Je ne sais pas, je me sens légère, comme si un poids lourd avait quitté ma poitrine. J'ai envie de sautiller partout, de faire des câlins à tout le monde, de profiter. Sauf qu'il est deux heures du matin et que tout le monde dort, aussi bien à la maison que dehors. Alors je me dis, pourquoi ne pas faire quelque chose qui fera plaisir demain matin. Je monte juste dans ma chambre histoire de choper mon casque, je mets ma musique en route puis je me mets à préparer des cookies tout en dansant à moitié, les préférés de ma soeur. Si l'autre jour, au bal, elle m'a pris dans ses bras sans même que cela ait semblé être calculé, cela veut bien dire quelque chose, non ? Que la hache de guerre est peut-être une bonne fois pour toutes enterrée ? Dieu sait que je déteste les conflits, c'est pour ça que depuis que l'on ne s'entend plus, elle et moi, je préfère l'éviter pour ne pas avoir à crier. Car je ne fais jamais ça, crier, non. Je laisse ça aux hommes politiques corrompus et aux mères de famille dépassées par leurs dix gamins. Je m'applique consciencieusement à faire deux fournées puis, une fois que tout est préparé, j'inscris de ma jolie écriture ronde le prénom de ma soeur sur un papier, que je dépose sur les précieux biscuits. Puis je pars me coucher. (...) Hum hum. Je me râcle la gorge. Sea vient de découvrir les gateaux dans la cuisine, et moi je me lève seulement. « Ce sont tes préférés, je me suis dit que ça te ferait plaisir. » Le pire c'est que c'est vrai. Je me suis sentie quelque part dans le besoin de lui montrer en retour, même si ce n'est qu'à travers une stupide recette de cuisine, que j'étais contente moi aussi de ce rapprochement inédit en trois ans. J'me sens un peu gênée et euphorique à la fois. « Ton bal s'est bien passé ? » je demande alors, n'osant pas croquer dans un cookie avant que la principale intéressée les ait elles-mêmes goutés. Je m'asseois alors sur le tabouret de bar, limite déjà fatiguée de ma journée alors que celle-ci vient seulement de commencer.

Ma soeur, je sais jamais comment prendre ses réactions. Parfois ses mots soufflent une chose, mais ses yeux en disent une autre. J'ignore si elle fait ça pour se protéger elle-même, ou plutôt les autres. Elle parait contente, de voir que j'ai pensé à elle, hier soir, même si l'on ne s'est pas parlé ni même croisé. Elle ne dit rien mais j'vois bien que ça lui fait plaisir. Tant mieux. C'est la seule chose que je voulais. Mais j'veux pas qu'il y ait de blanc, non, j'veux pas. On est si bien parties, là. Alors j'aborde le sujet du bal. Ça devrait la réveiller un peu, vu comme elle a semblé heureuse et pétillante là-bas. Ma soeur dans toute sa splendeur. Je la sonde du regard. « Oui, je pense, je ne m'en rappelle plus vraiment. Et toi ? » J'penche la tête sur le côté en mode : you've been a very, very, bad, bad, girl, Gaga. Puis je reprends mon sérieux parce que même si je joue quand même un peu son rôle depuis qu'elle est partie, je ne suis pas maman. « T'avais l'air particulièrement joyeuse ce soir-là. Donc si tu veux mon avis je pense que ça m'a contaminée. » j'dis ça en souriant un peu. Je dis pas non quand elle me dit de choper un cookie à mon tour. Punaise c'est que je suis douée, une bonne cuisinière comme maman. Du coup on sourit un peu à deux, mais j'vois que Sea est un peu gênée. J'ignore par quoi. Notre proximité soudaine perdue depuis des années ? C'est comme si d'un coup le voile d'incompréhension s'était levé. Pas totalement, non, juste un peu. Pour laisser entrevoir l'issue d'une belle relation. Mais le con il est tellement pas stable qu'il menace de s'affaisser à nouveau en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. « Oh, toi aussi tu me manques tu sais. » Puis là c'est plus fort que moi mais je m'approche de ma soeur et je la prends dans mes bras, comme ça. Je la serre un peu, pas trop, suffisamment pour lui faire passer un message, qui lui dit : j'suis là, tu sais, j'suis là. « Et on devrait faire ça plus souvent. » je souffle. Se prendre dans les bras comme deux soeurs, j'veux dire, ou même juste s'adresser la parole serait pas mal.